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La science-fiction et le champ littéraire

Andrew Milner
Traduction de Julie Stéphanie Normandin et ReSF
Référence(s) :

Milner Andrew John, « Science Fiction and the Literary Field » SFS, n° 115, novembre 2011, p. 393-411

Résumé

Le seul roman historique de Flaubert, Salammbô, fut publié en 1862, à peu près en même temps que le premier des Voyages extraordinaires de Jules Verne, Cinq semaines en ballon. Cette quasi-coïncidence amène Fredric Jameson à observer que le moment où le roman historique cesse d’être « fonctionnel » est aussi le moment d’émergence de la science-fiction. Pour Pierre Bourdieu, par contraste, le moment de Flaubert fut celui de l’émergence du « champ littéraire ». Cet essai tente de rendre compte en détail de la position de la science-fiction dans la genèse et la structure du champ littéraire moderne.

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Notes de la rédaction

Note de la traductrice
Dans cet article, Andrew Milner propose de penser la science-fiction à l’aune de la notion de champ littéraire, empruntée aux travaux de Bourdieu sur la sociologie de l’art et de la littérature. Il utilise ainsi le schéma du champ littéraire de la fin du XIXe siècle proposé par Bourdieu afin de dresser un portrait sommaire de la position occupée par la SF dans le champ littéraire global, de même que celui de la SF comme sous-champ littéraire spécifique.
Bien que Milner ne soit pas le premier théoricien à penser la science-fiction en termes bourdieusiens (à ce titre Gouanvic vient évidemment à l’esprit), les acquis de cette approche sont néanmoins rarement mis à profit de manière systématique en ce qui a trait à la SF, ce qui est tout particulièrement vrai dans la sphère anglo-saxonne où les productions culturelles associées à la grande consommation ont plutôt été prises en charge par les Études Culturelles. Se contentant essentiellement, dans l’espace dont il dispose dans cet article (qui est ensuite entré dans la mouture du troisième chapitre de son ouvrage Locating Science Fiction, paru en 2012), d’énumérer les noms d’auteurs et d’œuvres phares de la science-fiction qu’il dispose sur les deux schémas proposés et de justifier brièvement ces positionnements en fonction de critères assez sommaires, Milner jette ainsi dans cet article les bases d’une étude complémentaire au répertoire théorique existant, sans bien entendu exploiter de manière exhaustive le potentiel heuristique du modèle de Bourdieu.
L’un des mérites notables de cet article est cependant de s’attaquer à une contradiction et un impensé souvent négligés de la sociologie de la littérature en ce qui a trait à des sous-champs littéraires spécifiques comme celui de la SF. En effet, dans la perspective sociologique, la SF est souvent reléguée automatiquement au secteur de la grande production sans qu’une réflexion approfondie ne soit réellement déployée quant aux implications des diverses pratiques effectives qui y sont liées. Or, l’étude de Milner permet enfin de voir de manière concrète comment les pratiques culturelles liées à la SF présentent des similarités, souvent ignorées et pourtant évidentes, avec les pratiques associées à « l’art pour l’art » que l’on retrouve du côté de la production restreinte. Il ne s’agit pas ici de rabattre l’un sur l’autre les grands secteurs du champ ni de militer pour valoriser les pratiques du sous-champ de grande consommation, mais de relever que la sociologie de l’art et de la littérature, et en particulier le modèle bourdieusien, a souvent négligé d’étudier les productions de l’économie élargie avec autant d’attention qu’elle ne l’a fait pour les productions du secteur restreint.
À noter par ailleurs que Milner base ses travaux sur un article de Bourdieu traduit en anglais par Richard Nice et publié initialement en 1983, dont la version française source n’est pas disponible (Bourdieu, 1993 ; 1983). Or, même sans détenir le texte source français, nous sommes en mesure de constater que le schéma repris par Milner correspond grosso modo à un schéma du champ littéraire qu’on retrouve dans d’autres textes de Bourdieu (« Le champ littéraire », 1991, p. 32 ; Les Règles de l’art, [1992], p. 205). Cependant nous avons plutôt choisi de reproduire et de traduire le schéma que Milner emprunte à la traduction de Richard Nice. La raison en est simple : la traduction de Nice témoigne de la façon dont cette portion des travaux de Bourdieu a initialement pénétré le champ intellectuel anglo-saxon, avec les transformations que suppose toute migration de cette nature. Le choix que nous avons fait a donc pour but de ne pas escamoter la version des travaux de Bourdieu sur laquelle s’appuie Milner pour élaborer sa réflexion.
N. B. Lorsque la référence bibliographique ne mentionne pas de traducteur, toutes les traductions des citations sont du fait de ReSF.

Texte intégral

1L’unique roman historique de Flaubert, Salammbô, est paru en 1862, entre Madame Bovary (1857) et L’Éducation sentimentale (1869). Best-seller de son époque, il n’a cependant jamais obtenu le succès critique qu’ont connu les deux autres romans. Sa publication est par ailleurs presque contemporaine du premier des Voyages extraordinaires de Jules Verne, Cinq semaines en ballon, paru l’année suivante. Cette quasi-simultanéité a amené Jameson à affirmer que « le moment où le roman historique a cessé de fonctionner en tant que genre, est également celui de l’émergence de la SF […] comme forme qui enregistre désormais le sens naissant du futur, et qui le fait dans l’espace même où s’inscrivait jadis le sens du passé » (Jameson, 2008, p. 15). Pour Bourdieu, en revanche, l’époque de Flaubert est celle de l’émergence du « champ littéraire » moderne (Bourdieu, 1993, p. 161-175). Bourdieu s’est lui-même très peu intéressé à Verne et à la science-fiction en général. Cet article tentera de réparer cette omission en présentant un exposé détaillé de la place de la science-fiction dans la genèse et la structure du champ littéraire moderne.

I. La science-fiction et le champ littéraire

2Selon Bourdieu, « toutes les pratiques, y compris celles qui se veulent désintéressées ou gratuites », peuvent être considérées comme étant « orientées vers la maximisation du profit, matériel ou symbolique » (Bourdieu, 1972, p. 242). Appliquée à la littérature et à l’art, cette proposition engendre un modèle du champ de production culturelle qui se structure, à l’externe, en fonction du « champ du pouvoir » et, à l’interne, en fonction de deux « principes de hiérarchisation », soit deux manières dont se distribue de distribuer la valeur : le principe « hétéronome » et le principe « autonome » (Bourdieu, 1993, p. 37-38, p. 40-41, traduction ReSF). Bourdieu soutient que le champ littéraire et artistique moderne est le lieu d’une lutte entre le principe hétéronome, par lequel l’art est assujetti à l’économie, et le principe autonome, par lequel l’art résiste à une telle subordination. Le second principe est tout à fait propre au champ culturel : « la théorie de l’art pour l’art […] est au champ de production culturelle ce que l’axiome "les affaires sont les affaires" […] est au champ économique » (Bourdieu, 1993, p. 62, traduction ReSF). Dans le court terme, les deux principes paraissent diamétralement opposés : » dans le […] secteur autonome du champ de production culturelle […] l’économie des pratiques se fonde […] sur une inversion systématique des principes ordinaires de toute économie. » Dans le long terme, cependant, « les profits symboliques accumulés » sont « finalement convertis en profits économiques » (Bourdieu, 1993, p. 39, 54, traduction ReSF).

3Bourdieu conçoit la sociabilité humaine comme la résultante d’actions stratégiques posées par des individus évoluant dans le contexte d’un complexe de valeurs, ce qu’il nomme » habitus » (Bourdieu, 1977, p. 72-95). L’habitus littéraire comporte une série de « dispositions » – « vocations », « aspirations » et « attentes »­ –, soit de schèmes de perception et d’appréciation qui reproduisent « les divisions fondamentales de l’espace des positions – art "pur"/art "commercial", "bohème"/"bourgeois", "rive gauche"/ "rive droite", etc. » (Bourdieu, 1993, p. 64, traduction ReSF). Le diagramme du champ littéraire français de la fin du xixe siècle que trace Bourdieu indique les positions spécifiques occupées par plusieurs groupes littéraires clés de l’époque : les Parnassiens, les Symbolistes et les Décadents, le Théâtre libre et les romanciers naturalistes. Cela dit, Bourdieu y inscrit également les positions occupées par le vaudeville, le cabaret et le journalisme (Bourdieu, 1993, p. 49). Cela est tout à fait délibéré car, comme il l’explique, il n’existe que des « définitions de l’écrivain historiquement variables », qui correspondent à des états particuliers de « la lutte pour l’imposition de la définition légitime de l’écrivain ». Il n’existe donc « pas d’autre critère d’appartenance à un champ que le fait objectif d’y produire des effets » (Bourdieu, 1993, p. 42, traduction ReSF). Dans la Figure 1, j’ai légèrement modifié le modèle du champ littéraire de Bourdieu de manière à y inscrire les deux positions occupées par la première SF française. Dans le modèle de Bourdieu, le principe d’autonomie gouverne la moitié gauche du champ et celui d’hétéronomie, la moitié droite, de sorte que les genres les plus autonomes, soit les moins profitables au plan économique – comme la poésie – se trouvent à gauche, alors que les plus hétéronomes, soit les plus profitables au plan économique – comme le théâtre – se trouvent à droite, tandis que le roman se situe quant à lui quelque part entre les deux. Chaque genre se caractérise également par une hiérarchie interne, qui correspond à la hiérarchie sociale des publics associés à ces genres (Bourdieu, 1993, p. 48). Ainsi, les publics dont le statut social est supérieur – intellectuels, vieux et bourgeois – occupent la partie supérieure du champ, alors que les publics dont le statut est inférieur – la bohème, les jeunes et les masses – en occupent la partie inférieure. L’ensemble du champ est également traversé diagonalement par le spectre politique gauche-droite. La science-fiction s’intègre à ce modèle en deux positions : les Voyages extraordinaires, romans écrits par Verne et, dans trois cas, par Grousset (sous le pseudonyme « André Laurie »), ainsi que les adaptations théâtrales de ces romans, portées à la scène par Verne et d’Ennery au Théâtre de la Porte Saint-Martin et au Théâtre du Châtelet. Ces pièces sont aujourd’hui largement tombées dans l’oubli, mais ont néanmoins connu un grand succès à l’époque. Comme le note Jean-Michel Margot à propos du Tour du monde en 80 jours, « [a]près avoir passé plus de dix années […] à gagner péniblement sa vie, Verne est devenu, pratiquement du jour au lendemain, un […] riche dramaturge » ; la pièce a été représentée plus de deux mille fois entre 1874 et 1900 et incorporait dans sa mise en scène des effets spéciaux « qui préfiguraient […] Hollywood » (Margot, 2005, p. 153-154, traduction ReSF).

xixe
  • 1 Tous les mots suivis d’un astérisque sont en français dans le texte original.

4Il est nécessaire de rappeler ici les raisons pour lesquelles Bourdieu situe le théâtre dans le pôle hétéronome du champ littéraire : » le théâtre […] génère de gros profits » ; il « est directement soumis à la sanction immédiate du public bourgeois » et « peut récolter la consécration institutionnelle […] des honneurs officiels, tout autant que des sommes d’argent » (Bourdieu, 1993, p. 47, 51, traduction ReSF). Le théâtre du xixe siècle représentait donc l’« art bourgeois » par excellence*1, profitable à la fois économiquement et symboliquement. Il était en outre parfaitement propice à la création d’effets spéciaux. Frankenstein, ou Le Prométhée moderne (1821) [Frankenstein, 1818], de Shelley, avait occupé une position tout à fait similaire dans le champ littéraire anglais. Paru en roman en 1818, la première adaptation théâtrale, intitulée Presumption, or the Fate of Frankenstein [L’Audace, ou La Destinée de Frankenstein], fut mise en scène à l’English Opera House en 1823. La première adaptation théâtrale française, Le Monstre et le magicien, fut représentée en 1826 au Théâtre de la Porte Saint-Martin – où seraient jouées plus tard les œuvres de Verne – et l’on pouvait voir s’y déployer des effets spéciaux spectaculaires de même nature. Entre 1823 et 1887, il y eut dix-huit adaptations théâtrales de Frankenstein dans les théâtres populaires britanniques et français (Forry, 1990, p. 121-22). C’était donc là la position initiale de la SF dans le champ de production culturelle : à la croisée du roman bourgeois et du théâtre bourgeois. L’histoire du genre est marquée, par la suite, par son expansion dans l’ensemble du champ littéraire. Dans la Figure 2, j’ai encore une fois modifié le modèle de Bourdieu de manière à montrer la façon dont ce processus s’est déroulé. Par conséquent, le résultat n’est pas entièrement fidèle à sa méthode : tandis que Bourdieu trace les contours du champ littéraire d’une époque et d’un lieu donné, j’adopte quant à moi une démarche en elle-même plus science-fictionnelle, qui traverse tant les époques que les lieux, de sorte que la vue d’ensemble que je propose de la genèse et de la structure du champ de la SF est composite. Cette démarche, toutefois, est en mesure d’offrir une meilleure représentation de la SF contemporaine sous forme de diagramme, si l’on conçoit celle-ci comme une sphère globale où se produit et se reproduit la « tradition sélective » propre au genre, pour emprunter une expression de Williams (Williams, 1977, p. 115, traduction ReSF). Le champ de la SF n’occupe pas quelque espace isolé par rapport à l’ensemble du champ littéraire globalisé – ou à ce que Casanova appelle « l’espace littéraire mondial » (Casanova, 1999, p. 14) – mais en fait plutôt pleinement partie. Le champ de la SF peut donc être conçu comme une strate bidimensionnelle spécifique du champ littéraire mondial, lui-même tridimensionnel.

Figure 2 : Le champ de la SF vu dans sa globalité au début du xxie siècle

II. Genèse du champ de la SF : Idées et effets

5Contrairement aux diagrammes de Bourdieu, le mien montre comment le champ contemporain de la SF, dans sa globalité, négocie ses différents héritages culturels. Il s’agit toujours, cependant, d’expliquer la genèse historique du genre ou, pour le dire en termes légèrement différents, d’expliquer l’évolution historique de la tradition sélective propre au genre. Les principaux vecteurs de développement du champ de la SF entre la moitié du xixe siècle et le début du xxie siècle ont été de trois ordres : en premier lieu, le développement d’un éventail de formes dramatiques inédites de SF, du théâtre politique de Čapek, situé à l’extrémité du pôle bourgeois (R.U.R., 1924 [R.U.R., 1920] ; Le dossier Makropoulos, 1997 [Věc Makropulos, 1922] ; La maladie blanche, 1997 [Bilà Nemoc, 1937]), à la franchise Star Trek de Roddenberry, située à l’extrémité du pôle commercial ; en second lieu, le développement de formes de SF en prose de plus en plus populaires, parmi lesquelles la « pulp fiction » et le roman de SF ont connu un succès particulièrement spectaculaire ; en troisième lieu, le développement de formes élitistes ou avant-gardistes de SF, dramatiques ou en prose, dans les secteurs de l’économie restreinte et de l’art bourgeois institutionnalisé. Le premier soulève une question théorique cruciale, soit celle de la relation entre ce qu’on peut appeler les « idées » et les « effets ». En théorie littéraire, la tendance principale est de tenir pour acquis que la SF se résume à de l’expérimentation d’idées. Comme l’écrit Suvin, la « science-fiction moderne, pour être valable […], […] s’intéresse principalement à l’utilisation et aux effets (politiques, psychologiques, anthropologiques) des sciences et de la philosophie des sciences […] » (Suvin, 1977, p. 20 ; souligné dans le texte). Jameson suggère à peu près la même chose lorsqu’il affirme que « les prétentions scientifiques de la SF confèrent au genre utopique une gravité épistémologique […] » (Jameson, 2007a, p. 113). Une bonne partie de la SF écrite fonctionne sans aucun doute de cette façon, y compris dans les cas que Jameson juge peu convaincants, comme celui de Verne (Jameson, 2007a, p. 123, 172). Toutefois, il ne fait également aucun doute qu’une telle affirmation ne vaut pas pour les cycles Skylark et Fulgur [Lensman] de « Doc » Smith, par exemple.

6Smith a souvent été la cible de la critique universitaire, notamment de Freedman, qui a employé à son endroit cette formule prudemment euphémique : » Je ne crois pas qu’il soit très fécond d’affirmer qu’on trouve chez Smith des effets de distanciation bien complexes ni intéressants » (Freedman, 2000, p. 19, traduction ReSF). Si la SF n’était effectivement qu’une littérature d’idées, on ne pourrait pas y inclure les romans de Smith, puisque la notion d’une SF mettant de l’avant des idées simplistes ou inintéressantes serait oxymorique. Il serait de toute façon absurde de porter un tel jugement à propos de l’invité d’honneur de la seconde Convention mondiale de science-fiction de 1940. La solution proposée par Freedman est de concevoir le genre comme une tendance qui se manifeste dans un groupe de textes plutôt que comme une description globale de leur essence collective ; de considérer que la tendance principale de la SF est bel et bien celle qu’a identifiée Suvin ; et que, dans les romans de Smith, à l’instar des séries Star Wars et Star Trek, cette tendance ne se manifeste « que de façon faible et sporadique », alors que s’y manifeste par ailleurs une « hypertrophie spectaculaire de la dimension spécifiquement visuelle associée aux récit science-fictionnels de voyage dans l’espace » (Freedman, 2000, p. 19, 22, traduction ReSF). Ceci est, quoi qu’il en soit, une tentative impressionnante de soustraire Suvin à ses propres écueils. Or, un emploi plus efficace du rasoir d’Occam voudrait plutôt qu’on considère que les romans de Smith relèvent bel et bien de la SF, mais qu’ils n’en représentent toutefois pas des exemples particulièrement intéressants ni complexes.

7La référence que fait Freedman aux aspects spécifiquement visuels de la SF est néanmoins éloquente. Il est en effet évident que, quel que soit le degré d’intérêt qu’aient pu présenter les idées dans Frankenstein et dans les Voyages extraordinaires, la simple dimension visuelle a joué un rôle crucial dans l’attrait populaire qu’ont exercé Le Monstre et le magicien ainsi que le Voyage à travers l’impossible de Verne et d’Ennery (1882). La conception de la SF comme spectacle visuel est aussi ancienne que celle de la SF comme littérature d’idées et a été fondamentale pour le développement des formes dramatiques de la SF. Ceci éveille notre attention sur une caractéristique des travaux de Suvin : l’indifférence profonde qui s’y manifeste pour ces formes dramatiques, qu’il s’agisse du théâtre, du cinéma ou de la télévision. Cela pose un problème évident, ne serait-ce que parce que l’un des auteurs de SF canoniques chez Suvin – Čapek – était justement un dramaturge. Pour Suvin, Čapek a été « le plus remarquable écrivain de science-fiction du monde, pour l’entre-deux-guerres », mais ses pièces demeurent néanmoins à ses yeux « la partie la plus faible [de son œuvre] » (Suvin, 1977, p. 197, 187). Suvin a certes droit à son opinion, mais ce n’est certainement pas là le jugement qui a été porté par la tradition sélective de la SF ni celui qui a été repris dans le champ littéraire. Le moment où Čapek a forgé le mot « robot » pour R.U.R. en 1920 a été un moment réellement décisif – parce que fécond – dans l’histoire du genre, correspondant à l’invention d’un « novum » radicalement inédit, pour employer un terme clé de l’arsenal théorique de Suvin (Suvin, 1979, p. 63). L’incroyable succès international de cette pièce témoigne de cette fécondité : présentée pour la première fois en tchèque en 1921, elle a ensuite été traduite en allemand et en anglais américain (1922), en japonais et en anglais britannique (1923), en français et en russe (1924), en roumain et en turc (1927), en italien (1929), en bulgare (1931) et en suédois (1934) (Čapek, 1922 ; 1966, p. 117, 204-205). R.U.R. fournissait ainsi à la BBC de Londres le texte du premier programme télévisuel de SF à avoir jamais été diffusé ; cette fusion entre un nouveau média et un novum inédit en dit long sur l’importance considérable qu’eut la pièce.

III. Genèse du champ de la SF : Les productions dramatiques

8L’élargissement des formes dramatiques de la science-fiction aux nouveaux médias audiovisuels – cinéma, radio, télévision – s’apparenta à une pleine réalisation du potentiel dramatique et spectaculaire immanent au genre depuis son émergence même. Ce que Benjamin a écrit sur le dadaïsme vaut donc également pour la première SF : elle « essaya d’engendrer, par des moyens […] littéraires, les effets que le public cherche aujourd’hui dans le film » (Benjamin, 1991, p. 165). Le premier film de SF, vaguement inspiré des romans De la terre à la lune de Verne (1865) et Les Premiers Hommes dans la lune de Wells (1901) [The First Men in the Moon, 1901], fut Le Voyage dans la lune de Méliès, réalisé en 1902, soit moins de sept ans après les premières projections cinématographiques des frères Lumière. Le tout premier film de SF à obtenir un succès commercial fut Metropolis de Lang, dont la production a duré deux ans et qui a finalement été présenté en janvier 1927. Pour Méliès comme pour Lang, ainsi que pour la plupart de leurs successeurs, l’immense attrait du genre résidait dans la possibilité de recourir aux effets spéciaux pour créer, par des moyens proprement visuels plutôt que littéraires, des novums. Il est d’ailleurs possible de tracer l’histoire de la science-fiction dans le cinéma populaire à travers une série de jalons importants en matière d’effets spéciaux, de Mandragore (1929) [Alraune, 1928] de Galeen, qui fut un immense succès pour Ama-Film et Universum Film Aktiengesellschaft, tant en Allemagne qu’aux États-Unis, à Avatar de Cameron (2009), qui constitue l’expérience la plus ambitieuse à ce jour dans le domaine du cinéma 3D, en plus d’être le film qui a engendré les plus importantes recettes de toute l’histoire d’Hollywood.

9Au cinéma, les effets spéciaux se réalisent au prix fort : le budget pour Le Voyage dans la lune fut de 10 000 francs, « une somme incroyable pour le début du 20e siècle » (Vallorani, 2005, p. 320, traduction ReSF) ; Metropolis, quant à lui, a coûté 5 millions de marks et aurait sans doute conduit l’UFA à la faillite si le film n’avait pu être distribué quasi simultanément en Grande-Bretagne et aux États-Unis ; Terminator 2 : Le Jugement dernier de Cameron (1991) [Terminator 2, 1991] a été le premier film américain à coûter plus de 100 millions de dollars ; finalement, selon le magazine Forbes en 2005, onze des vingt-cinq films les plus coûteux produits à Hollywood étaient des films de SF (Rose, 2005). Une observatrice faisait récemment remarquer que Le Voyage dans la lune n’avait été qu’« un cadre sur lequel déployer une démonstration des possibilités magiques du cinéma » (Cornea, 2007, p. 250, traduction ReSF). Si cette affirmation ne vaut pas tout à fait pour Metropolis, il est cependant vrai que l’architecture urbaine qui y est mise en scène en est le principal novum dystopique, apparaissant comme la synecdoque des immenses catastrophes qui ont assailli la population. On peut en dire à peu près autant de Terminator 2 : le T-1000, qui est composé d’un « poly-alliage mimétique », un métal liquide capable de prendre la forme de tout ce avec quoi il entre en contact, en est le novum. Les théoriciens du cinéma s’élèvent généralement contre la thèse d’Horkheimer et Adorno selon laquelle « [l]’industrie de la culture s’est développée en même temps que se développait la prédominance de l’effet […] dans une œuvre qui, au départ, exprimait une idée et fut liquidée en même temps que cette idée » (Horkheimer et Adorno, 1974, p. 134). Or, leur argument semble étrangement pertinent par rapport au cinéma de SF, puisque, dans ce genre particulier où le novum littéraire a souvent, en effet, consisté en une « idée », la principale stratégie dramatique et cinématographique traditionnellement adoptée a été de traduire cette « idée » en « effets ». Il existe donc une certaine tension nécessaire entre le novum en tant qu’idée et sa représentation sous forme de spectacle. Il ne s’agit là toutefois que de tendances, tant à concevoir le novum comme une idée dans le média écrit qu’à le transformer en effet spectaculaire dans le média cinématographique, l’une comme l’autre représentant un point sur un continuum – ou, plus exactement, une position dans un champ culturel – plutôt que l’une des propriétés structurales permanentes de tel ou tel média. Compte tenu des coûts de production élevés des effets spéciaux, il était pratiquement inévitable que le cinéma de SF se situe ainsi plus près de l’extrémité du pôle hétéronome du champ que le roman de SF.

10La radio et la télévision ont des coûts de production moins élevés que les films et sont également plus susceptibles que ces derniers de faire l’objet de subventions publiques, de même que d’appartenir à des réseaux publics. Les questions de propriété et de subventions, étroitement liées, ont une incidence directe sur les types de productions dramatiques proposés par ces médias. En règle générale – à laquelle il existe nécessairement de très nombreuses exceptions –, la plus grande immunité dont profitent les réseaux publics face à la pression commerciale directe a généralement permis la création de scénarios plus audacieux, tandis que les fonds limités dont ils disposent ont, en revanche, souvent engendré des effets spéciaux médiocres, surtout à la télévision. La télévision commerciale a donc souvent joui d’avantages indéniables en matière de fabrication du spectaculaire. La radio est apparue au début des années 1920 et la télévision à partir de la fin des années 1930. En Grande-Bretagne, la BBC a commencé à émettre en 1920 et a lancé sa chaîne télévisée en 1936, détenant un monopole d’État jusqu’en 1955 pour la télévision et jusqu’en 1973 pour la radio. Malgré la compétition qui a suivi l’arrivée de diffuseurs privés, la société a néanmoins continué de dominer le marché. La plupart des pays européens et du Commonwealth ont d’abord exercé un monopole de diffusion national, auquel ils ont ensuite mis fin en ouvrant le secteur à la concurrence. Aux États-Unis, par contraste, la radio et la télévision ont été d’emblée organisées autour d’un système de licences publiques exploitées par des chaînes privées, qui puisaient leur financement dans les revenus de la publicité et des sponsors. La première station de radio à y obtenir une licence commerciale fut KDKA à Westinghouse (1920) et la première chaîne de télévision, W2XBS de NBC (1939). Le financement public de la radio et de la télévision n’arriva que beaucoup plus tard, en 1970 pour la télévision et en 1971 pour la radio.

11Les recherches sur l’histoire de la SF à la radio font encore cruellement défaut : ni le Cambridge Companion to Science Fiction (2003) ni le Routledge Companion to Science Fiction (2009) ne proposent d’entrée sur la question, et l’Encyclopedia of Science Fiction (1993) de Clute et Nicholls demeure vague sur le sujet, ce qui est inhabituel pour cette encyclopédie. Quoi qu’il en soit, la SF semble avoir surtout été diffusée sur les ondes des radios américaines, en particulier pendant la période du présumé « âge d’or de la radio », du milieu des années 1930 jusqu’au début des années 1950. Par la suite, les productions dramatiques ont été graduellement remplacées par la diffusion de musique, d’informations et d’émissions interactives. Dans mon diagramme du champ de la SF, j’ai omis la radio commerciale puisqu’elle ne correspond plus à des pratiques courantes ; toutefois la position qu’elle a occupée antérieurement est évidente : dans l’angle « hétéronomie / production de masse » du champ, à proximité de la télévision et du cinéma commerciaux. Dans l’ensemble, les émissions radiophoniques de SF américaines étaient produites sous forme sérielle et s’adressaient à des enfants. Parmi toutes les émissions de SF diffusées à la radio commerciale, la plus célèbre, l’adaptation par Welles de La Guerre des mondes [The War of the Worlds] en 1938, ne correspondait toutefois clairement ni à l’un ni à l’autre. Bien que l’émission ne fut écoutée que par 6 millions d’auditeurs, environ 1 700 000 d’entre eux crurent que ce qui y était raconté était « vrai » (Hand, 2006, p. 7). La panique qui en a résulté est devenue matière à bien des légendes urbaines – souvent très exagérées. La BBC a joué un rôle essentiel dans la diffusion radiophonique de la SF, tout particulièrement après le déclin de la radio commerciale américaine. Les productions d’après-guerre les plus connues incluent des séries comme Journey Into Space (1953-1955) [Voyage dans l’espace] et Le Guide du voyageur galactique [The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy, 1978-1980, 2004-2005] de même que la lecture radiophonique de romans de SF et de pièces de théâtre complètes, tout particulièrement dans le cadre de l’anthologie Saturday Night Theatre (1943-1996) [Le Théâtre du samedi soir]. Au Canada, la série d’anthologie The Vanishing Point [Point de fuite] a tenu les ondes de 1984 à 1991 et est notamment connue pour avoir diffusé des adaptations des Enfants d’Icare (1956) [Childhood’s End, 1953] de Clarke et des Dépossédés (1975) [The Dispossessed, 1974] de Le Guin. La radio publique allemande a, elle aussi, diffusé des pièces de théâtre radiophoniques, ou Hörspiele, dont certaines relevaient de la SF au sens large : parmi celles-ci, la version de Das Unternehmen Der Wega (1954) [La Mission de la Vega] de Dürrenmatt diffusée en 1955 par la Bayerischer Rundfunk et la diffusion par la Westdeutscher Rundfunk Köln de la traduction du Jour des Triffides [The Day of the Triffids] de Wyndham par Bruehl en 1969. En France, certaines stations de la RTF, en particulier France Inter et France Culture, ont diffusé une succession de feuilletons et de séries – de Les Tyrans sont parmi nous (1953) à Renard, Maurice (1981) – ainsi que quelques anthologies telles que Le Théâtre de l’Étrange (1963-1974) et La Science-Fiction (1980-1981).

12Les différences entre les modèles de radiodiffusion américain et britannique se sont transposées dans le domaine télévisuel. Comme ce fut le cas pour la radio, les émissions de télévision de science-fiction américaines s’adressaient à l’origine à un public d’enfants : l’exemple le plus ancien en est Captain Video (1949-1956) [Capitaine Video]. De même, comme ce fut le cas pour la radio, les premières productions télévisuelles de la BBC furent distinctement « littéraires » : la toute première émission de SF diffusée sur cette antenne fut une version de 35 minutes de R.U.R. de Čapek, adaptée pour la télévision à partir de l’original par Playfair et Russell, qui ont ensuite collaboré à une version de 90 minutes diffusée en 1948. Furent ensuite télédiffusées, en 1949, une version de La Machine à explorer le temps [The Time Machine] de Wells, produite par Barr, ainsi qu’une version de 1984 [Nineteen Eighty-Four] d’Orwell, produite par Kneale. Le tout premier feuilleton télévisé diffusé à l’antenne de la BBC fut une œuvre de Kneale lui-même, The Quatermass Experiment [L’Expérience Quatermass], diffusée dès 1953. Toutes ces émissions s’adressaient à un public adulte, incarnant peut-être ainsi la conception qu’avait Lord Reith d’un diffuseur public national dont la visée serait « d’informer, d’éduquer et de divertir » (de Burgh, 2000, p. 199). Comme Cook et Wright l’ont observé, « la télévision britannique transmettait au public général une vision empreinte d’un peu plus de scepticisme, voire peut-être même plus "réaliste", du futur science-fictionnel […] qui se manifestait tantôt par de l’ironie […] tantôt […] par quelque chose de nettement plus sombre et désespérant » (Cook et Wright, 2006, p. 5, traduction ReSF). Si l’intégralité de la programmation télévisée américaine de SF était issue du secteur privé, la majeure partie de la programmation britannique était quant à elle issue de la BBC, dont les productions les plus connues à ce titre sont bien sûr Doctor Who [1963-1989, 1996, 2005-], Le Guide du voyageur galactique [The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy, 1981] et Red Dwarf (1988-1999) [Naine rouge]. Cela dit, il n’y eut pas d’équivalent télévisuel de la disparition des dramatiques de la radio commerciale. Dans les années 1960, la télévision commerciale américaine produisit deux anthologies importantes : La Quatrième Dimension [The Twilight Zone, 1959-1964] et Au-Delà du Réel [The Outer Limits, 1963-1965] ; au cours de la décennie suivante, elle a également présidé aux destinées de la franchise de SF ayant connu le plus grand succès, Star Trek (1966-1969), ainsi que de ses nombreuses suites ; dans les années 1990, elle produisit deux des séries télévisées de SF les plus innovantes au plan formel de la fin du xxe siècle : Babylon 5 de Straczynski (1993-1998) et X-Files : Aux Frontières du réel [The X-Files, 1993-2002] de Carter. La télévision commerciale japonaise a également acquis un rôle majeur dans l’ensemble du champ, si bien qu’au début du xxie siècle elle était devenue la principale source non anglophone d’émissions de SF. Les émissions japonaises étaient principalement des animés produits par des réseaux commerciaux, comme TV Tokyo Network et Fuji TV, à distinguer de NHK, le réseau public national. Ces émissions s’adressaient elles aussi à l’origine à des enfants : la toute première fut Tetsuwan Atomu de Tezuka, diffusée pour la première fois au Japon en 1963, puis distribuée internationalement sous le titre Astro Boy.

13Ailleurs, les réseaux publics semblent s’être montrés moins intéressés au genre que la BBC. En Allemagne, la première série télévisée de SF, Raumpatrouille Orion [Commando spatial : La fantastique aventure du Vaisseau Orion] de la chaîne ARD, n’a vu le jour qu’en 1966 ; en Australie, la première série de SF, Vega 4 du réseau ABC, n’a pas été diffusée avant 1967. Au Canada, la série Space Command [Commandement spatial] de la CBC a été diffusée dès 1953, mais il s’agissait encore là d’une émission pour enfants, créée à l’image du modèle dominant alors américain. Par la suite, diverses expériences télévisuelles de SF ont été proposées dans ces trois pays, mais l’augmentation des coûts de production des effets spéciaux a amené les chaînes à être de plus en plus dépendantes des productions américaines, britanniques et japonaises. Au début du xxie siècle, dans ces trois pays, les émissions de SF les plus connues étaient en fait des créations à visée commerciale coproduites avec des réseaux américains ou britanniques : Lexx (1997-2002), une coproduction germano-canadienne partiellement financée par Channel 5 en Grande-Bretagne, Farscape (1999-2003), une coproduction australo-américaine, ainsi qu’une profusion de coproductions canado-américaines, filmées en sol canadien mais dont le contenu était du reste tout à fait américain. Ce scénario-type, selon lequel la télévision « de qualité » produite par des chaînes domestiques publiques a cédé progressivement le pas à du contenu privé et importé, a été particulièrement perceptible en France, où la SF a occupé une position étonnamment centrale dans la culture nationale. La télévision publique française a diffusé une quantité significative d’émissions de SF entre la fondation de la RTF en 1949 et la privatisation partielle de la télévision dans les années 1980. Les chaînes d’état ont diffusé de nombreuses adaptations des œuvres de Verne, en particulier de L’île mystérieuse (dès 1963) et du Tour du monde en 80 jours (dès 1975). Elles ont également transmis des téléfilms, comme la version de Frankenstein présentée sur l’ORTF en 1974 et l’adaptation du Travail du furet d’Andrevon sur FR2 en 1994. Elles produisirent également un large éventail de séries et de feuilletons télévisés, des Atomistes (1968) à Bing (1991-1992). La privatisation progressive de la télévision française, amorcée entre 1981 et 1987, a toutefois conduit à un déclin de la production nationale et à une programmation de plus en plus dépendante de l’importation de contenu étranger.

14Comme pour le cinéma, une part importante de l’attrait de la SF aux yeux des producteurs de contenu radiophonique et télévisuel réside dans les possibilités offertes par le genre en matière de création d’effets spéciaux. La tension entre idée et effet semble toutefois trouver une résolution différente dans ces deux médias, en raison tout d’abord des coûts de production peu élevés qu’ils engendrent comparativement au cinéma. D’un certain point de vue, les contraintes financières font obstacle au déploiement aussi bien des idées que des effets, ce qui explique que tant de contenu radiophonique et télévisuel ne soit intéressant sur aucun des deux plans. Comme le déploiement des idées est toutefois susceptible d’engager des coûts moins élevés que leur déploiement visuel, il peut ainsi arriver que ces médias inversent la tendance à prioriser l’effet sur l’idée qui s’observe dans le domaine du cinéma. Cela est peut-être d’être d’autant plus vrai, par ailleurs, pour les diffuseurs publics, d’une part, et pour la télévision par satellite ou par câble, d’autre part, dans la mesure où tous deux jouissent d’une liberté qui leur permet de se livrer à l’exploration de créneaux restreints du marché. La SF a toujours été un créneau restreint du marché : c’est ce qui explique les échecs répétés de ses diverses incarnations, sauf en ce qui concerne les émissions pour enfants, sur les trois réseaux américains dominants entre les années 1950 et 1970, à un moment où la programmation télévisuelle dans son ensemble était presque exclusivement destinée à un public de « masse » (Reeves, Rodgers et Epstein, 1996, p. 24-29). Pour la radio et la télévision, le potentiel expérimental de la SF vaut aussi bien pour la forme que pour le contenu. Williams, dans ses travaux précurseurs sur les productions dramatiques radiophoniques et télévisuelles, a relevé les trois formes principales que prenaient celles-ci : la série, le feuilleton et la pièce unique, celle-ci étant souvent incluse dans une anthologie (Williams, 1974, p. 57-61). La SF a emprunté toutes ces formes, mais la dernière semble être devenue moins courante, sans doute parce que la nécessité de mobiliser une équipe de production et une équipe de comédiens spécifiques pour la réalisation de chaque épisode engendrait des coûts de production relativement élevés. Le format novateur de programme télévisuel de SF le plus intéressant à s’être développé à la fin du xxe siècle fut ce que Reeves, Rodgers et Epstein, en parlant de X-Files, ont décrit comme « le format hybridant la série et le cycle », c’est-à-dire le « minicycle dans la série » (Reeves, Rodgers et Epstein, 1996, p. 33-34, traduction ReSF). Dans ce format, les épisodes sont autonomes, mais ils sont également traversés par plusieurs trames narratives qui évoluent d’épisode en épisode, ce qui rend possible le développement en profondeur des personnages que ne permet pas la série conventionnelle. En SF, ce format a été utilisé par Carter pour X-Files, par Straczynski pour Babylon 5, par O’Bannon pour Farscape ainsi que par Davies, tant pour la suite de Doctor Who diffusée sur BBC Cymru que pour Torchwood [Torchwood, 2006-2009], série dérivée de la première et destinée à un public adulte.

15Voilà qui trace le paysage graphique du pôle hétéronome du champ de la SF, où les nouvelles formes dramatiques sont toutes axées sur le marché et le théâtre de Čapek, qui captive la frange la plus bourgeoise du public, à l’autre, les animés et la franchise Star Trek, qui captivent le public de masse et finalement, entre les deux, la radio publique, la télévision publique et le cinéma commercial. Il va sans dire que ces positions ne sont pas valables pour chacune des émissions ayant existé, mais on peut néanmoins considérer qu’il s’agit de généralisations raisonnablement satisfaisantes ; il est évident, par exemple, que la série Cold Lazarus de Potter (1996) n’aurait jamais pu être produite uniquement par une chaîne de réseau de télévision commercial « à accès libre ». Ces comparaisons ne sont pas destinées à être opérées de manière isolée. Il s’agit plutôt de simples points sur un graphique organisé selon un axe horizontal, plutôt que d’emplacements dans une hiérarchie organisée selon un axe vertical ; ces points sont néanmoins à même de générer des comparaisons isolées à l’intérieur du champ de la SF. Comme l’observe Bourdieu : « les frontières du champ sont l’enjeu de luttes […] [et] la tâche du sociologue n’est pas de tracer des lignes de démarcation entre les agents impliqués […] mais de décrire […] la frontière délimitant le territoire occupé par des agents concurrents » (Bourdieu, 1993, p. 42, traduction ReSF).

IV. Genèse du champ de la SF : La prose

16Les développements les plus significatifs en ce qui a trait à la SF en prose furent une conséquence, directe ou indirecte, de la « pulp fiction » américaine. Des nouvelles de SF ont certes été publiées en Europe au xixe siècle et tant Verne que Wells ont pratiqué cette forme – les meilleurs morceaux sont colligés dans Le Docteur Ox (1874) pour le premier et dans The Stolen Bacillus and Other Incidents (1895) [Le vol du microbe et autres incidents] pour le second. Pour l’essentiel, cependant, la SF européenne en prose prenait surtout la forme du roman d’« anticipation scientifique » (« scientific romance ») ou du roman. Gernsback n’est toutefois pas l’inventeur de la nouvelle ni des « pulp magazines » de SF ; Aldiss a raison d’insister sur le fait que les pulps de SF suédois et allemands ont préexisté à Amazing Stories (Aldiss, 1986, p. 202). Ce qu’il a accompli n’en demeure pas moins important : son magazine a ouvert un tout nouvel espace dans le champ de la SF, qui allait ensuite être occupé par une série de « pulps » américains – dont le plus connu, Astounding Science-Fiction de Campbell. Pour les amateurs américains de SF, le soi-disant « âge d’or » du genre a débuté en 1937, au moment où Campbell a été nommé rédacteur en chef du magazine, et s’est poursuivi jusque dans la première moitié des années 1950, moment où sa prédominance a progressivement diminué au profit du roman en format poche.

17Les pulps sont parvenus à faire pour la prose ce que le cinéma, la radio et la télévision avaient fait pour les œuvres dramatiques : amener le genre à atteindre les publics les plus jeunes et les plus pauvres, à l’extrémité du pôle hétéronome du champ littéraire. Gernsback a occupé une position particulièrement privilégiée dans ces événements, compte tenu des intérêts qu’il détenait dans le milieu de la diffusion en tant qu’éditeur de Radio-Craft et copropriétaire de la station WRNY. Cette ouverture vers l’extrémité la moins consacrée du champ s’est poursuivie avec le lancement en 1938 du premier comic book de SF, Action Comics de DC, où apparaîtrait le Superman de Siegel et Shuster, suivi peu après, en 1939, par la Torche humaine [Human Torch] de Marvel dans Marvel Comics, puis par une succession de titres similaires. Malgré son antipathie pour Gernsback, Aldiss a su reconnaître les mérites du magazine Astounding dirigé par Campbell : « Les pulps […], écrit-il, ont été produits à la chaîne à l’intention de la classe moyenne inférieure ou ouvrière […], dépourvue de tout privilège […]. Mais seuls les héros de Campbell parvenaient réellement à se mettre au diapason […]. Campbell vous offrait le futur sur une assiette ébréchée » (Aldiss, 1986, p. 228-229, traduction ReSF). En tant qu’institutions culturellement efficaces, les pulps et les comics ont été des phénomènes d’origine américaine, même si l’invention des pulps en tant que telle ne l’avait pas été. Les deux productions ont par ailleurs été exportées à l’international, où elles ont connu un succès variable. En Grande-Bretagne, New Worlds est paru d’abord sous la forme d’un « pulp » en 1946 avant de reparaître en format digest en 1949 et n’a pas tardé à devenir le principal magazine de SF à l’échelle nationale. En France, Fiction (1953-1990) a été le magazine de SF le plus important de même que celui qui a connu la plus longue destinée. Comme l’observe Slusser, ce magazine a été « "l’atelier" des écrivains français […] responsables […] de la renaissance [de la SF] dans les années 1960-1970 » (Slusser, 1989, p. 252, traduction ReSF). Le pulp hebdomadaire allemand Perry Rhodan, publié sans interruption depuis 1961, serait selon Verlagsunion Pabel-Moewig, qui en est l’éditeur, le magazine qui a connu la vie la plus longue parmi tous les magazines publiés en série. En Grande-Bretagne, le comic de SF ayant connu le plus grand succès est sans doute 2000 AD (1977-) et en France, Métal Hurlant (1974-1987, 2002-2004). Les mangas japonais, toutefois, ont été plus déterminants encore pour l’ensemble du champ ; nés en 1951 avec Tetsuwan Atomu, ils incluent, entre de nombreux autres titres, Akira (1991-1996) [Akira, 1982-1990] et Ghost in the Shell (1989-) [Gosuto In Za Sheru/Kokaku Kidotai, 1989-1991], qui par ailleurs ont tous été adaptés en animés.

18Aux États-Unis, les pulps ont dans une large mesure cédé le pas aux romans de « genre », publiés au départ par des maisons d’édition spécialisées en SF comme Fantasy Press, Hadley Publishing et Shasta. À partir du milieu des années 1950, de plus en plus de maisons d’édition généralistes de grande envergure ont acquis des titres de SF ou ont constitué leurs propres collections de SF, qui étaient souvent publiés tant en format poche qu’en grand format. On compte parmi les maisons d’édition qui ont joué un rôle important. Ace Books, qui a dominé le marché de la SF pendant les années 1970 et 1980, Doubleday, qui a édité les anthologies Dangereuses visions [Dangerous Visions] d’Ellison et finalement Putnam, qui a publié les anthologies Orbit de Knight. En Grande-Bretagne et en France, où les pulps n’ont pas joué un rôle institutionnel aussi significatif, ce sont généralement les maisons d’édition généralistes qui se sont chargées de la publication de la SF. On compte parmi les plus importantes Gollancz, Michael Joseph, Macmillan, d’une part, et les collections « Présence du Futur » de Denoël, « Anticipation » de Fleuve Noir, « Le Rayon Fantastique » de Hachette et Gallimard et « Ailleurs et Demain » de Laffont, d’autre part. Tout comme aux États-Unis, toutefois, la SF française et la SF britannique parvinrent à atteindre le marché de masse principalement par le biais de maisons publiant en format poche, comme Penguin and Pan, Le Livre de Poche et J’ai Lu. Sur ce plan aussi le scénario fut différent en Allemagne, où il ne se produisait ni pulps ni livres de poche, mais plutôt des publications qui se trouvaient à mi-chemin entre les deux, le plus souvent publiées chez Pabel ou Moewig et, au final, chez Pabel-Moewig.

19Peu importe les reproches que l’on puisse adresser à la pulp fiction, Gernsback avait ainsi créé un espace qui a ouvert la voix à l’édition de « genre », qui à son tour a créé un lieu d’accueil pour les diverses propositions du « new wave ». C’est aux États-Unis que le lien de continuité entre la pulp fiction et la constitution du genre est le plus apparent, puisque les romans d’un ensemble varié d’écrivains, tels qu’Asimov, Blish, Heinlein et Van Vogt, étaient en fait des « fix-ups », des versions remaniées et unifiées de récits préalablement publiés en magazine (Clute et Nicholls, 1982, p. 432 ; van Vogt, 1975, p. 85, 135). Mais les écrivains de SF britanniques avaient eux aussi publié dans des pulps ; Wyndham dans Wonder Stories, par exemple, et Ballard dans Science Fantasy. Ce dernier a fini par parcourir virtuellement le champ d’une extrémité à l’autre, étant passé ensuite à l’avant-garde dans le contexte de la new wave, et enfin au roman réaliste. Dans la Figure 2, j’ai inclus le roman de SF, la nouvelle, la pulp fiction et le roman graphique, en fournissant des exemples pour chacun, et je les ai situés au bas de la ligne formée par la prose dans le champ de la SF, suivant un ordre hiérarchique descendant de légitimité et de consécration et un ordre hiérarchique ascendant de popularité. Nous pourrions sans aucun doute trouver aisément des exemples différents pour chaque catégorie ; nous pourrions en outre ajouter une catégorie distincte pour le comic book, différente de celle du roman graphique, qu’il faudrait alors placer plus bas vers la lisière inférieure du champ, même si cette distinction serait parfois ténue et difficile à établir ; nous aurions également pu choisir des exemples moins « littéraires » que Verne et Wells pour la nouvelle (ou encore des exemples plus « littéraires », comme Forster), de même que des exemples de romans graphiques plus emblématiques que Watchmen (1985-1986, 1986-1987) de Moore et Gibbons, qui, en tant que publication de DC la plus encensée par la critique, est moins emblématique que paradigmatique ; et, de surcroît, on pourrait même décrire le champ comme étant européen, américain et japonais plutôt que global. Cela dit, les contours généraux ainsi tracés semblent grosso modo valides.

20Un problème demeure cependant : la question de savoir où situer les différents mouvements du « new wave », qui ont fait leur apparition de manière sporadique en réaction hostile aux formations occupant une position prédominante dans le champ de la SF. J’en ai inclus cinq dans la Figure 2 : l’association approximative et partiellement convaincante opérée par Merril entre la notion de « fiction spéculative » et les romans de Dick ; l’association acceptée de façon relativement unanime entre le cyberpunk et Gibson et Sterling (quoiqu’il serait également possible d’en fournir des exemples non américains, comme Dantec en France et Oshii au Japon) ; l’association tout aussi incontestée entre Moorcock et Ballard à travers la new wave britannique ; une association justifiable, quoique plus fragile, entre la new wave américaine et divers mouvements politiques radicaux de contre-culture (qui escamote le rôle joué par des écrivains tels que Harlan Ellison et Norman Spinrad) ; et finalement la « weird fiction », que H. P. Lovecraft représenterait sans doute mieux que China Miéville, si ce n’était du fait que ce dernier associe explicitement ses propres œuvres au champ de la SF. J’ai placé trois de ces mouvements dans l’économie restreinte et je reporte la réflexion à leur sujet à plus tard. La fiction spéculative et le cyberpunk se situent quant à eux dans l’économie élargie, bien qu’à l’origine ils se soient développés au moins en partie en réaction à la logique de l’économie restreinte. Tous deux se sont toutefois soustraits à cette logique par la suite ; l’un en prenant la voie de la SF « littéraire » – que déduire d’autre du fait que Jameson décrive Dick comme le « Shakespeare de la science-fiction » (Jameson, 2008, p. 31) ? – l’autre en prenant la voie du marché de masse. D’où leurs positions respectives.

V. Genèse du champ de la SF : L’économie restreinte et l’art bourgeois institutionnalisé

21Si on se penche, finalement, sur la troisième zone qui nous intéresse, on constate qu’il y a deux sections, distinctes mais qui se recoupent en partie, à aborder : l’économie restreinte et l’art bourgeois institutionnalisé. Il convient de préciser au passage que la critique universitaire de la SF se situe à l’extrémité supérieure du secteur restreint, jouissant d’une consécration « charismatique » conférée par un public intellectuel plutôt que bourgeois. Elle suscite manifestement très peu d’intérêt au-delà de la sphère de l’intelligentsia universitaire : ni Suvin ni Jameson n’ont été finalistes pour le prix Hugo dans la catégorie des livres non fictifs. Plus important encore, le secteur restreint soulève également la question de l’avant-garde, souvent jugée anachronique dans les approches contemporaines du postmodernisme, où on tend à affirmer, à l’instar de Bürger, que « les mouvements historiques d’avant-garde ont été dépassés par le développement de l’art » (Bürger, 2013, p. 154). Jameson abonde dans ce sens : « nous sommes au-delà des avant-gardes […]. […] ­[C]ette affirmation du collaboratif […] échappe à l’organisation d’un mouvement ou d’une école, ignore la vocation du style et néglige les atours du manifeste ou du programme » (Jameson, 2007b, p. 247). Il y a une part de vérité dans ces affirmations mais, étrangement, elle ne semble pas valoir pour la SF. Si l’avant-gardisme est étroitement associé au haut-modernisme, que ce soit parce qu’il en relève (Poggioli, 1968, p. 15) ou parce qu’il s’y oppose (Bürger, 1984, p. 22), il ne pourrait donc, par définition, exister d’avant-garde dans un champ aussi peu moderne que celui de la SF. On trouve pourtant dans l’histoire de la SF quantité de formations intellectuelles dont l’organisation, la vocation et les rituels ressemblent grandement à ce qu’on trouve du côté des avant-gardes historiques. L’exemple le plus évident à cet égard – et le plus intéressant compte tenu de ses liens étroits avec le milieu du pulp – est celui des « Futurians » de New York.

22Au plan de l’organisation, les Futurians formaient une « école » ou un « mouvement » au même titre que le Futurisme. Il a été question ailleurs de la brouille qui advint entre Campbell et le Futurianisme (Milner et Savage, 2008, p. 36-43). Contentons-nous ici de souligner que les modes avant-gardistes d’organisation, de vocation et de rituels ont été présents dans la SF américaine, et ce même dans les périodes les plus intenses de commercialisation de masse. Les Futurians ont publié leurs propres pulp magazines alternatifs (Ashley, 2000, p. 149, 159-62). Très peu viable commercialement, ces magazines étaient des produits d’avant-garde emblématiques de l’économie restreinte plutôt que de l’économie élargie : en 1941 et 1942, Wollheim n’a fait paraître que quatre numéros de Stirring Science Stories et trois numéros de Cosmic Stories. Souvent à peine plus que des fanzines, ces magazines étaient bien ancrés dans l’économie restreinte, mais à des positions qui se rapprochaient néanmoins des pulps qui connaissaient un plus grand succès commercial. Plusieurs des écrivains qui y étaient associés ont fini par obtenir du succès dans l’économie élargie, mais le Futurianisme en tant que tel demeura irrémédiablement un produit de l’économie restreinte. On peut en dire à peu près autant des new waves américaine et britannique des années 1960 et 1970, du cyberpunk des années 1980 et du « new weird » du début du xxie siècle. La new wave britannique gravitait autour de New Worlds à l’époque où Moorcock en était le directeur (1964-1971) et La Foire aux atrocités (1976) [The Atrocity Exhibition, 1970] de Ballard en fut la quintessence. L’éditorial introductif de Moorcock, qui portait le titre programmatique « A New Literature for the Space Age » [« Une nouvelle littérature pour l’ère spatiale »], citait de manière approbative un argument de William Burroughs qui affirmait que si « les écrivains souhaitaient décrire les techniques avancées de l’ère de l’espace, ils devaient inventer des techniques d’écriture tout aussi avancées » (Moorcock, 1964, p. 2, traduction ReSF). Vingt-cinq numéros plus tard, Moorcock insistait, de manière tout aussi programmatique, pour dire que Ballard était devenu « la première voix clairement définie d’un mouvement destiné à consolider les idées littéraires […] du xxe siècle, en en faisant […] un nouvel instrument capable d’appréhender le monde du futur contenu […] dans le monde du présent » (Moorcock, 1966, p. 2, traduction ReSF). Pour Moorcock, le « groupe de New Worlds » était sans contredit un « mouvement » (Greenland, 1983, p. 205, traduction ReSF) doté de son propre style et de son propre programme. Il est également évident que ce groupe était autonome plutôt qu’hétéronome. Financé par le British Arts Council, mais inscrit sur la liste noire de W. H. Smith, le plus important libraire britannique, ce magazine avait une structure de financement typique de l’économie restreinte : « précaire […] mais contribuant ainsi à la diriger vers des avenues audacieuses » (Luckhurst, 2005, p. 145, traduction ReSF).

23La new wave américaine est née en partie de la new wave britannique : Spinrad, Disch, Ellison, Fariner et Zoline ont tous d’abord été publiés dans New Worlds. Toutefois, l’anthologie Dangereuses visions (1975) [Dangerous Visions, 1967] d’Ellison annonçait le rapatriement de la new wave américaine. On trouvait de ce côté un même ton avant-gardiste : « Ce que vous avez entre les mains est plus qu’un livre […], a écrit Ellison, c’est une révolution […]. Il a été créé avec l’intention de faire bouger les choses. Il est né de la nécessité de voir de nouveaux horizons, de nouvelles formes, de nouveaux styles, de nouveaux défis émerger dans la littérature de notre temps » (Ellison, 2002, p. xxxiii). Aux États-Unis toutefois, où il n’y avait pas eu d’initiative équivalente à New Worlds, l’écriture new wave était publiée dans des magazines, des anthologies et des romans de SF mainstreams. Se situant, historiquement, quelques années après les « nouveaux mouvements sociaux » et leur radicalisme et, géographiquement, plus près de leur épicentre, la new wave américaine a été exposée à l’incidence directe des politiques identitaires des groupes féministes et afro-américains. Elle allait ainsi tout à la fois connaître un plus grand succès commercial, être plus politisée et moins avant-gardiste que la new wave britannique : les deux Hugo qu’a reçus Le Guin, pour The Left Hand of Darkness en 1970 [La Main gauche de la nuit, 1971] et The Dispossessed en 1975 [Les Dépossédés, 1975], en fournissent de très beaux exemples. La SF féministe (représentée ici par Le Guin et Piercy, bien que l’on pourrait facilement ajouter Russ, Emshwiller et Butler) comme la SF afro-futuriste (représentée ici par Delany, mais on pourrait aussi nommer Butler encore une fois, Moseley et d’autres) devraient ainsi être conçues comme des produits directs de la new wave, plutôt que comme des formations héritières distinctes semblables au cyberpunk. Delany et Emswhiller ont été publiés dans Visions dangereuses, Le Guin et Russ dans Again, Dangerous Visions (1972) et Butler devait être incluse dans Last Dangerous Visions [Dernière Visions dangereuses], qui n’a jamais été publiée. Je situe cette formation dans l’économie restreinte puisqu’il est évident que certains écrivains – Russ et Delany – étaient vigoureusement opposés aux principes de l’économie élargie, mais je la situe toutefois dans le contour extérieur de ce secteur puisque d’autres écrivaines – Atwood et Le Guin – ont quant à elles obtenu un certain succès commercial tendant vers une consécration institutionnelle de l’intelligentsia, voire de la bourgeoisie.

24Le cyberpunk a adopté plutôt qu’évité le mode organisationnel du mouvement : Shiner l’a décrit comme ayant activement embrassé la vocation du style (Shiner, 1992, p. 25). Les « cyberpunks […] sont épris de style », a écrit Sterling, et préconisent une prose « "dense" : les salves rapides, étourdissantes, d’informations inattendues, le bombardement sensoriel qui submerge le lecteur […] » (Sterling, 2001 [1987], p. 11, 19). Le cyberpunk aussi a eu ses manifestes et ses programmes – qu’est, sinon un manifeste, la « Préface » à Mozart en verres miroirs ? Le cyberpunk a rapidement acquis un succès commercial et c’est pourquoi je l’ai placé près de l’anticipation scientifique au centre du champ de la SF, mais ses origines n’en demeurent pas moins ancrées dans l’économie restreinte. Pour citer Sterling de nouveau : « Avant l’ère des étiquettes, la tendance cyberpunk n’était [qu’un] vague conglomérat d’une génération de jeunes auteurs ambitieux qui échangeaient lettres, manuscrits, idées, louanges flamboyantes et critiques caustiques » (Sterling, 2001 [1987], p. 12). La weird fiction apparaît de façon moins évidente comme de la SF d’avant-garde que les new wave américaine et britannique puisqu’il est moins évident qu’il s’agit bien là de SF : Lovecraft n’aurait jamais considéré sa propre écriture comme de la SF. Cependant son œuvre a manifestement influencé plus d’un écrivain susceptible de percevoir leur écriture comme telle : Houellebecq (voir son Contre le monde), Miéville (Gordon, 2003, p. 358) et le new weird en général. Les aspirations avant-gardistes du new weird sont aussi évidentes que celles des new waves antérieures. L’introduction typiquement programmatique de même que la structure globalement programmatique de l’anthologie The New Weird (2008) des VanderMeer en témoignent. Et Miéville, pour sa part, met avec plaisir la weird fiction en relation avec la tradition sélective de la SF. Les premier et dernier livres de sa trilogie du Bas-Lag (2003-2008) [v. o. 2000-2004] lui ont valu le prix Arthur C. Clarke dans la catégorie « meilleur roman de science-fiction » publié au Royaume-Uni. « La weird fiction, écrit Miéville, est la mauvaise conscience du paradigme Gernsback / Campbell en SF […], [un] reproche à […] la théorie qui prend comme point de départ l’autodéfinition implicite de ce paradigme » (Miéville, 2009b, p. 510, traduction ReSF). Avant-gardiste au plan littéraire comme au plan politique – et par le fait même doublement relégué à l’économie restreinte – Miéville a défendu le Weird avec détermination dans des circonstances marxistes tout à fait improbables (Cf. Miéville, 2009a). Cela n’est pas sans rappeler des rapprochements antérieurs entre groupes d’avant-garde artistique et politique, tels que les tentatives opérées par Maïakovski de ménager un passage entre Futurisme et Bolchévisme. Fait intéressant, ce dernier écrivait, lui aussi, de la SF.

25Notre première avant-garde en SF, le Futurianisme, était au départ un groupe formé de « fans », dont le noyau central était issu de la Brooklyn Science Fiction League, une branche locale de la Science Fiction League de Gernsback, également constituée de fans. Ce fait a la vertu de nous rappeler l’un des traits les plus distinctifs du genre, soit l’ensemble d’adhésions d’une rare intensité que partagent publics, écrivains et textes. Ce sont les « Trekkies » – qui ont fait l’objet de tant de railleries – qui fournissent toujours le modèle paradigmatique ici : leur célèbre campagne « Save Star Trek » [« Sauvons Star Trek »] a entraîné l’envoi de 114 667 lettres de protestation à NBC (Tulloch et Jenkins, 1995, p. 9). Au risque d’opérer une simplification excessive, on peut avancer que les études de la SF se sont, en général, éloignées d’une conception quasi-adornienne du fandom, vu comme une manipulation par l’industrie culturelle, pour se rapprocher de la perspective de Jenkins, qui conçoit les fans comme « des consommateurs qui sont aussi des producteurs » (Jenkins, 1992, p. 208), comme des « braconniers du texte » (« textual poachers »), pour reprendre la formule de son fameux emprunt à Michel de Certeau (de Certeau, [1990], p. 251-252). Les auteurs de « filk » et de « slash fiction » deviennent ainsi des occurrences de ce que Michel de Certeau entendait par « braconnier ». Dans la perspective adornienne du fandom, le phénomène s’inscrit dans la zone des publics de masse aux confins hétéronomes du champ de la SF. Dans la perspective de Jenkins, il appartient plutôt au champ restreint, celui de l’art pour l’art, de la SF pour la SF. Les efforts des fans relèvent d’un labeur fondé sur la passion qui est aussi utopique que celui de n’importe quelle avant-garde et qui s’oriente vers l’obtention d’un profit strictement symbolique via un public restreint de pairs ou d’« experts » partageant une même sensibilité. Comme Penley l’a observé à propos de la « K/S slash fiction », ces « écrivaines amatrices » élaborent leurs propres « [utopies] sexuelles et sociales » à partir de matériaux puisés à même Star Trek (Penley, 1997, p. 145). J’ai donc situé les comportements de fans qui sont les plus ancrés dans la culture fanique très près de la frontière formée par la bohème à la lisière de l’économie restreinte, mais également à proximité du roman graphique situé dans l’économie élargie.

26Il reste encore une position d’avant-garde dans le champ de la SF, celle du cinéma underground, représentée dans la Figure 2 par Cronenberg. Peu importe la façon dont on définit l’underground, que ce soit comme une pratique subversive, contestataire, indépendante, expérimentale, contre-culturelle ou simplement « culte », l’essentiel de la production science-fictionnelle assez considérable de Cronenberg, de Scanners (1981) à eXistenZ (1999), en est emblématique. Mais au milieu des années 1960, Alphaville de Godard (1965) et Fahrenheit 451 de Truffaut (1966) semblaient l’être tout autant. La première « new wave », après tout, fut la Nouvelle Vague française, et Godard et Truffault, tous les deux des protégés de Bazin et écrivant tous les deux pour les Cahiers du cinéma, en furent les principaux auteurs. Les deux films de SF de Tarkovski, Solaris [Солярис, 1972] et Stalker [Сталкер, 1979], pourraient aussi être considérés « undergrounds », bien que cette notion soit difficilement transférable au contexte de la Russie soviétique de l’époque. A posteriori, toutefois, tant en ce qui concerne Tarkovski que Godard, toute revendication du statut underground est contredite par l’envergure du succès qu’ils ont finalement connu auprès des publics institutionnalisés et bourgeois (occidentaux) : Tarkovski a remporté le Grand Prix spécial du jury pour Solaris et le prix du Jury œcuménique pour Stalker au Festival de Cannes et Godard, le Goldener Bär pour Alphaville à la Berlinale. D’où ma décision d’associer les deux au « cinéma d’auteur » plutôt qu’à l’« underground ». Mais il s’agit là d’une distinction plutôt délicate, qui fonctionne sans doute mieux dans une perspective synchronique que diachronique.

27Cela nous amène à la composante la plus importante de l’art bourgeois institutionnalisé, soit la SF « littéraire ». Cette catégorie existe à peine du point de vue de la « haute littérature », où ces textes sont considérés comme n’étant « "pas vraiment de la SF" ou comme "transcendant le genre" d’une quelconque manière » (Bould, 2009, p. 1, traduction ReSF). Elle existe cependant pleinement du point de vue de la SF : en témoigne la façon méticuleuse dont Clute et Nicholls (1993, p. 483-84, 768-70) ainsi que Lofficier et Lofficier (2000, p. 349) s’attachent à distinguer, tout en les intégrant à leur réflexion, les écrivains « de genre » et les écrivains mainstreams. Il vaut mieux concevoir la SF « littéraire » comme la portion du champ de la SF faisant actuellement partie des versions contemporaines du canon littéraire. On y trouve notamment L’Île des pingouins de France (1908), Nous autres (1929) [Мы, 1921] de Zamiatine, R.U.R. et La Guerre des Salamandres (1960) [Válka s Mloky, 1936] de Čapek, Le meilleur des mondes (1933) [Brave New World, 1932] de Huxley, 1984 d’Orwell (1950) [Nineteen Eighty-Four, 1948], Solaris de Lem, Stalker : Pique-nique au bord du chemin (1980) [Пикник на обочине, 1971] des frères Strougatski et Les Particules élémentaires de Houellebecq (1998). Tous les textes de SF inclus dans la version allongée du Western Canon [Le canon occidental] de Bloom (1994, p. 542-65) trouvent d’ailleurs leur place ici. Non pas en raison de quelque « mérite » littéraire qui leur serait propre, comme Bloom l’affirmerait lui-même, mais parce qu’ils ont été canonisés en tant qu’œuvres « littéraires » par les institutions d’éducation et d’édition, ce qui a eu pour effet de les soustraire aux rayons « Science-fiction et Fantasy » des librairies. Mais ce déplacement n’a eu que très peu d’incidence dans le champ de la SF, où les intertextes et toutes les formes de références aux textes canoniques apparaissent de toute façon continuellement – ce qui explique que les textes de SF inclus dans le canon de Bloom figurent également chez Clute et Nicholls. Cela ne signifie pas que tous les écrivains de SF soient, sur une base individuelle, indifférents à la reconnaissance « littéraire » : certains tentent visiblement d’accéder au champ canonique, soit via le champ restreint, soit via le champ institutionnalisé et bourgeois de la SF. Dick et Ballard y aspiraient visiblement, bien que seul le second y parvint réellement. Fait intéressant, Houellebecq, pervers comme toujours, semble avoir parcouru le chemin inverse en passant de poète avant-gardiste à romancier de SF. Il est possible que le prix à payer pour une telle perversion finisse par prendre la forme d’une exclusion du champ canonique, puisque les gardiens du canon littéraire semblent beaucoup plus réticents à autoriser des déplacements libres entre le champ canonique et le champ de la SF que ne le sont leurs contreparties de la sphère de la SF.

VI. Conclusion

28Ces réflexions m’amènent à avancer, en guise de conclusion, deux postulats. Le premier est que la SF est un sous-champ du champ littéraire global, doté d’une structure homologue à celle du champ plus vaste dans lequel il s’inscrit, qui construit la tradition sélective de la SF en même temps qu’il est construit par celle-ci, qui la produit en même temps qu’il la reproduit. Le second est que la frontière entre le champ de la SF et le champ canonique « littéraire » prend une forme vaguement analogue à celle d’une membrane – c’est-à-dire d’une barrière sélective, imperméable à de nombreux éléments mais pas à tous les éléments, loin de là – qui se situe à la croisée du champ restreint de la SF et du champ institutionnalisé et bourgeois de la SF. Du côté canonique, cette imperméabilité tend à laisser la SF pénétrer le canon, mais sans la laisser réintégrer son champ d’origine ; du côté de la SF, les déplacements sont généralement possibles dans les deux directions.

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Bibliographie

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Notes

1 Tous les mots suivis d’un astérisque sont en français dans le texte original.

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Table des illustrations

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Légende Figure 2 : Le champ de la SF vu dans sa globalité au début du xxie siècle
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Pour citer cet article

Référence électronique

Andrew Milner, « La science-fiction et le champ littéraire », ReS Futurae [En ligne], 6 | 2015, mis en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 09 mars 2016. URL : http://resf.revues.org/749

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Auteur

Andrew Milner

Andrew John Milner est spécialiste de théorie culturelle et critique littéraire. Il est professeur émérite en littérature anglaise et comparée à Monash University (Australie) et professeur honoraire à l’université de Warwick. Il est l’auteur de Locating Science Fiction, Liverpool, 2012.

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