Ce n’est pas à coups d’insultes qu’on fera avancer le débat sur la protection de la langue française.

Bien sûr, il est regrettable que le député franco-ontarien Francis Drouin ait traité d’« extrémistes » et de « pleins de marde » deux témoins venus présenter leur point de vue au comité des langues officielles. Ces propos totalement inacceptables, dont l’élu s’est excusé, n’ont pas leur place au Parlement. Point à la ligne.

Mais il est aussi fort dommage que la controverse qui dure depuis deux semaines à Ottawa ait éclipsé la discussion de fond qui mérite pourtant un débat public éclairé et nuancé.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le député libéral Francis Drouin

La question refait constamment surface : est-ce que le fait d’aller au cégep ou à l’université en anglais fait en sorte qu’un étudiant francophone ou allophone a plus de chances de poursuivre sa vie en anglais ?

Ceux qui estiment que les établissements postsecondaires anglophones sont un vecteur d’anglicisation du Québec présentent souvent comme pièce à conviction une étude réalisée par Statistique Canada en 20221.

On y apprend que 23 % des diplômés francophones* qui ont obtenu leur dernier diplôme en anglais utilisent l’anglais de façon prédominante au travail, par rapport à seulement 4 % pour ceux qui ont terminé leurs études en français.

L’écart est important, certes. Mais avant de sauter aux conclusions, il faut se donner un peu de perspective.

D’une part, les francophones qui étudient en anglais et travaillent ensuite en anglais ne sont pas légion (environ 1 % de l’ensemble des diplômés francophones).

D’autre part, près des trois quarts des jeunes Québécois francophones qui parlent anglais de façon prédominante au travail ont obtenu leur diplôme dans une école… francophone.

Pour eux, ce n’est donc pas le fait d’avoir étudié en anglais qui est en cause, mais peut-être simplement le fait que l’économie du Québec est résolument tournée vers les exportations et que l’anglais est la langue passe-partout à l’international.

Alors on aura beau envoyer tout le monde à l’école en français jusqu’au postdoctorat, les jeunes devront quand même apprendre l’anglais, et d’autres langues, pour être efficaces dans bien des sphères du marché du travail.

D’ailleurs, si les jeunes francophones s’inscrivent au cégep ou à l’université en anglais, c’est notamment parce qu’ils veulent parfaire leur maîtrise de la langue, selon l’Office québécois de la langue française2. Ce choix ne les empêche pas de continuer à chérir le français. Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, qui a étudié à McGill et à Oxford, en est la preuve vivante.

Mais qu’en est-il des allophones ?

En reprenant l’étude de Statistique Canada, on constate que près de la moitié (46 %) des Québécois allophones qui ont obtenu leur diplôme dans un établissement d’enseignement anglophone parlent anglais de façon prédominante au travail, contre seulement 7 % pour ceux qui ont décroché leur diplôme en français.

Ici, la corrélation est encore plus frappante entre la langue des études et la langue de travail. Il est tentant d’en conclure que l’école les anglicise pour le reste de leur vie. Toutefois, rien dans l’étude n’indique qu’il y a une relation de cause à effet. En fait, c’est peut-être l’inverse qui se produit.

Même si les allophones doivent aller à l’école en français au primaire et au secondaire grâce à la loi 101, une proportion appréciable de ceux qui vivent dans la région de Montréal reste plus à l’aise en anglais qu’en français, à cause du quartier où ils habitent ou du pays dont ils sont originaires.

Autrement dit, les dés sont peut-être déjà jetés avant même qu’ils arrivent au cégep. Si tel est le cas, il faut agir en amont au lieu de mettre des bâtons dans les roues à ceux qui veulent fréquenter des établissements postsecondaires anglophones.

De toute façon, les allophones sont sans cesse plus nombreux à étudier en français, ce qu’on ne souligne pas assez souvent.

À l’université, la proportion des allophones qui étudient en français a augmenté de 42 % à 59 % depuis 34 ans. Et au collégial, elle a grimpé de 59 % à 70 % depuis 12 ans, avant même l’entrée en vigueur des quotas dans les cégeps anglophones imposés par la Coalition avenir Québec.

Même les anglophones sont plus nombreux à fréquenter les cégeps francophones, où leur nombre a bondi de 35 % depuis cinq ans. Ça fait 500 jeunes de plus qui prouvent qu’on peut créer des ponts entre les communautés.

C’est sans compter que le quart des jeunes anglophones admissibles à l’école primaire et secondaire en anglais préfèrent l’instruction en français, nous apprenait Statistique Canada cette semaine3.

Voilà qui nuance le sombre tableau qu’on nous brosse si souvent.

N’empêche, on peut en faire davantage pour promouvoir le français.

Mais avant de mettre le bonnet d’âne aux cégeps et aux universités anglophones, il faut des études approfondies et apolitiques qui permettront d’avoir une conversation franche, respectueuse et constructive. Sans lancer de gros mots. Sans créer de clivages nuisibles.

C’est en identifiant les vraies causes qu’on trouvera les solutions qui feront une réelle différence.

* Dans ce texte, les francophones, les anglophones et les allophones désignent ceux qui ont comme langue maternelle le français, l’anglais ou une langue tierce, respectivement.

1. Consultez l’étude La langue de travail des diplômés d’établissements postsecondaires de langue française, de langue anglaise ou bilingues 2. Consultez l’étude Langue française au Québec : usages et comportements des 18 à 34 ans en 2021 3. Lisez l’article « Le quart des enfants admissibles à l’école en anglais n’y vont pas »