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Monica Bellucci : «La Callas que j'incarne est la femme fragile que peu de gens connaissaient»

Dans une robe Yves Saint Laurent qui a appartenu à la soprano, devenue son costume de scène. Et en bijoux Cartier, dont elle est l’ambassadrice.
Dans une robe Yves Saint Laurent qui a appartenu à la soprano, devenue son costume de scène. Et en bijoux Cartier, dont elle est l’ambassadrice. © T. Volf/H&K
Interview Christophe Carrière , Mis à jour le

Monica Bellucci est la Callas sur scène. Un rôle qui l’emmène de la gloire à la plus amère désillusion.

En cette fin de matinée ensoleillée, quand Monica Bellucci entre dans la brasserie au décor feutré située au pied du théâtre du Châtelet, tous les regards se tournent vers la star qui, forte de trois décennies de carrière internationale, a l’élégance de ne pas le remarquer. Tailleur noir, chemise blanche, à peine maquillée, uniquement parée d’une fine bague en or, elle est aux antipodes de la Callas qu’elle incarne sur scène depuis trois ans. Ou, plutôt, aux antipodes de l’idée qu’on se fait de la diva en qui l’actrice, elle, voit avant tout une femme.

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Paris Match. En jouant la Callas, n’avez-vous pas l’impression de “piquer” la place de Fanny Ardant?
Monica Bellucci.
Non! Je n’aurai jamais la prétention de prendre sa place. Je l’adore autant que je l’admire. Maria Callas inspire les artistes les plus différentes: Fanny Ardant, donc, dans “Callas Forever”, le film de Zeffirelli et dans “Master Class”, la pièce de Terrence McNally, Marie Laforêt dans “Master Class” aussi, où la diva était présentée sous son jour le plus intransigeant. Celle que j’incarne est la femme fragile, que peu de gens connaissaient. À Athènes, Marina Abramovic, la célèbre performeuse serbe, est venue me voir sur scène alors qu’elle jouait elle aussi un spectacle sur la Callas – que je suis allée voir, bien sûr, et c’était encore autre chose: très sombre, très onirique.

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Pourquoi Tom Volf vous a-t-il choisie, alors que vous n’aviez jamais fait de scène?
J’aimerais bien le savoir! Ce doit être mon côté méditerranéen. Et puis Maria Callas est née à New York, a passé son adolescence en Grèce, a percé en Italie, a vécu en France… Comme moi, elle se sentait partout étrangère et parlait toutes les langues avec un accent. J’avoue avoir eu peur quand Tom m’a proposé ce spectacle, mais les lettres écrites par la Callas étaient si belles et émouvantes que ça m’a convaincue.

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Multiples facettes : Maria Callas en tenue de soirée, chez elle à Milan, en 1958, et Monica Bellucci dans son appartement, à Paris.
Multiples facettes : Maria Callas en tenue de soirée, chez elle à Milan, en 1958, et Monica Bellucci dans son appartement, à Paris. © T. Volf/H&K, Fonds de Dotation Maria Callas

Vous avez aussi convaincu le public: du Studio Marigny il y a trois ans, vous voilà aujourd’hui au théâtre du Châtelet avec un orchestre pour vous accompagner!
Le Studio Marigny et ses 300 places, c’était déjà énorme! Puis Giorgio Ferrara, directeur du festival de Spolète [Ombrie, Italie], nous a invités à venir présenter le spectacle. Mais nous n’avions pas de version en italien. Il m’a rétorqué que cela n’avait pas d’importance, que je pourrais le jouer en français. Moi, jouer en français en Italie? On m’aurait craché dessus! Pendant le confinement, nous avons traduit les textes avec Tom. Après Spolète, ce fut le Parco della musica à Rome, le théâtre Manzoni à Milan, et enfin le théâtre Carlo Goldoni à Venise. Nous sommes ensuite partis au Hérode Atticus, à Athènes, avec un orchestre : 4 000 spectateurs par séance! Et puis Istanbul, Londres, Monaco… Aujourd’hui Paris, demain Los Angeles et New York. Cette production française est devenue un succès international.

Tom Volf s’est attaché à Maria plus qu’à Callas et c’est ce qui m’a touchée

 

Dans la foulée, vous avez posé pour Tom Volf, également photographe, en prenant pour modèle Maria Callas avec ses bijoux, auxquels elle vouait un attachement fétichiste…
Les femmes accordent une valeur symbolique aux bijoux qu’on leur offre. Quand elle a divorcé de Giovanni Battista Meneghini, Maria Callas a découvert qu’elle n’avait plus rien à l’exception de ses bijoux. Elle les considérait comme des porte-bonheur, mais c’étaient également ses seuls biens. On apprend tout cela et bien plus encore dans le formidable documentaire de Tom, “Maria by Callas” [sorti en 2017]. Pour la scène, il s’est attaché à Maria plus qu’à Callas et c’est ce qui m’a touchée, cette dualité entre l’artiste qui imposait le respect, intransigeante avec tout le monde à commencer par elle-même, et la femme dont le cœur était celui d’un enfant. On a beaucoup critiqué son attitude presque hautaine quand elle parlait de son travail. Mais quand on la questionne sur des choses plus intimes, elle a un côté innocent.

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Derrière la vitre : la chanteuse dans une des tenues créées pour elle par la styliste Biki, à Milan, en 1958, et son interprète au théâtre des Bouffes Parisiens.
Derrière la vitre : la chanteuse dans une des tenues créées pour elle par la styliste Biki, à Milan, en 1958, et son interprète au théâtre des Bouffes Parisiens. © T. Volf/H&K, Fonds de Dotation Maria Callas

Comment expliquez-vous qu’elle ait été à ce point adulée par le public?
On n’allait pas entendre la Callas, on allait la voir! Le monde de l’opéra est assez élitiste, mais son aura a fait tomber les barrières. Et ça lui a coûté cher. C’est parce qu’elle était sensible qu’on a pu la détruire émotionnellement. Elle a, depuis l’âge de 13 ans, consacré sa vie à son art; mais quand elle rencontre Onassis, à 35 ans, au faîte de sa gloire, elle décide de laisser s’épanouir la femme qui est en elle et elle sacrifie par amour tout ce qu’elle avait construit. Au-delà de ça, elle reste un modèle. Son engagement féminin est précurseur. Elle s’est toujours battue pour sa liberté et a toujours suivi son ressenti, ce qui demandait un certain courage. Elle a tout de même voulu divorcer à une époque où c’était interdit en Italie [le divorce n’y a été autorisé qu’à partir de 1970]. Puis il y eut la manière dont Onassis l’a traitée. Il l’a délaissée pour finir par la quitter du jour au lendemain. Tout cela a abîmé la femme, et par conséquent l’artiste. Ces schémas résonnent encore aujourd’hui et soulèvent une question que beaucoup de femmes se posent: les hommes savent-ils aimer comme le peut une femme?

La chevelure de Bellucci sous les mains expertes de John Nollet. En 1969, la Callas abordait les seventies avec un nouveau look.
La chevelure de Bellucci sous les mains expertes de John Nollet. En 1969, la Callas abordait les seventies avec un nouveau look. © T. Volf/H&K, Fonds de Dotation Maria Callas

En 2016, vous déclariez à Paris Match: “J’ai été très regardée, mais je ne suis pas sûre qu’on m’ait vraiment vue.” Maria Callas n’aurait-elle pas pu dire cela aussi?
Peut-être. Il y a généralement chez les artistes une dualité entre l’image et la personne. Avec l’image, on crée l’illusion de quelque chose. Et derrière cette image, il y a une personne qui se protège.

Le physique, qui pour nous est un instrument, change et nous ouvre d’autres rôles.

 

Ça doit être fatigant, au quotidien…
Non. Pour mon travail, je génère une image qui est sûrement une partie de moi, mais pas tout mon être. On n’est complètement soi-même qu’avec les intimes, la famille. Avec eux, on est à nu. Et là, si quelqu’un est mal intentionné, ça peut nous faire du mal parce qu’on est vulnérable.

Et comme la Callas, chacune à votre manière, vous êtes des icônes…
Une icône évoque pour moi quelque chose de figé dans le temps, d’immuable, alors que l’essence de mon travail, c’est le mouvement, c’est de faire des choses toujours différentes. Et le temps qui passe permet d’accéder à d’autres expériences. Le physique, qui pour nous est un instrument, change et nous ouvre d’autres rôles. Prenez mon personnage dans “Mémoire meurtrière” avec Liam Neeson [sur Prime Video]: une femme d’affaires calculatrice jusqu’à l’excès, prête à tout pour protéger son fils et surtout son apparence. Pour cela, j’ai accentué mes cernes, pris un peu de poids… Autant de choses que j’aurais eu plus de mal à faire à 20 ans.

L’actrice imite une scène typique de la vie de la cantatrice : quand elle choisissait des bijoux que les joailliers livraient chez elle, comme ici en 1957.
L’actrice imite une scène typique de la vie de la cantatrice : quand elle choisissait des bijoux que les joailliers livraient chez elle, comme ici en 1957. © T. Volf/H&K, Fonds de dotation Maria Callas

Alors peut-être pas vous, mais Maria Callas demeure aux yeux de tous une icône, comme Marilyn Monroe. Une icône serait-elle condamnée à être malheureuse?
Une icône se représente souvent en tragédienne. Pas toujours. C’est une question d’époque, aussi. Dans les années 1950-1960, le statut des femmes n’avait rien à voir avec aujourd’hui. Prenez Anita Ekberg, dévorée par sa propre image iconique, justement, dans “La dolce vita”… J’évoque son histoire dans “The Girl in the Fountain”, le documentaire d’Antongiulio Panizzi présenté au Festival Lumière à Lyon. Ce projet m’a été proposé en même temps que celui sur Maria Callas, et c’est troublant car ces deux artistes représentent une période précise où les femmes commençaient à peine à prendre leur indépendance. Callas et Ekberg, chacune à sa manière, ont payé le prix fort pour cette liberté. À cette époque, la carrière était liée à l’âge. Après l’explosion à vos 20 ou 30 ans, passé 40, vous aviez beau être belle et avoir du talent, c’était fini.

 Mes filles arrivent dans un monde où les femmes s’expriment davantage.

 

Il y a encore peu, on disait que, passé 50 ans, les actrices acquéraient un superpouvoir : l’invisibilité!
C’est vrai. J’en parlais encore l’autre jour avec Toni Collette, avec qui je viens de tourner “Mafia Mamma” de Catherine Hardwicke. Deux femmes mûres en tête d’affiche d’une comédie autour de la mafia… c’est nouveau! Et il ne faut pas oublier que si c’est possible, c’est en partie grâce à des femmes comme Maria Callas et Anita Ekberg, qui ont ouvert la voie à ce qu’on est aujourd’hui.

Ce qui est rassurant pour vos filles, et plus particulièrement pour Deva, qui, à 18 ans, perce dans le mannequinat…
Elles arrivent dans un monde où les femmes s’expriment davantage. Et ce monde est aussi positif pour les hommes, car ils peuvent enfin se libérer de tous les diktats sociaux dans lesquels ils sont enfermés depuis toujours: être dur, payer le restaurant, assurer l’économie du foyer… Ça commence dès l’enfance: vous n’avez pas le droit de pleurer sinon vous n’êtes pas un homme, de jouer à la poupée sinon vous êtes une fille. Aujourd’hui, les hommes peuvent changer la couche d’un bébé et une femme peut être pilote de ligne! On entre dans votre univers, vous pouvez entrer dans le nôtre et, ainsi, on peut enfin collaborer. La libération des femmes équivaut aussi à celle des hommes.

Photos Tom Volf/H&K et fonds de dotation Maria Callas. Maquillage : Letizia Carnevale. Coiffure John Nollet. Stylisme : Dior, Cartier

 

 

 

 

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