Alors que la mention de la délivrance devait être publiée au BEB le 22.5.2019, un tiers a déposé à l'OEB le 3.5.2019 une preuve selon laquelle il avait déposé une action en revendication de propriété devant le tribunal administratif de Munich. D'autres preuves ont été soumises en juillet.
Pour la Chambre juridique, seules les preuves déposées avant le 22.5 peuvent être prises en considération, puisque la suspension n'est possible que tant que la demande est en instance.
Le tribunal administratif a signifié l'action au demandeur du brevet mais, n'étant pas compétent, a renvoyé l'affaire devant le tribunal de district (Landgericht) de Munich.
Les parties n'étaient pas d'accord sur la date de début de l'instance. La détermination du moment où une action peut être considérée comme avoir été engagée doit se faire en appliquant la loi nationale applicable. Il peut s'agir selon les cas du moment où l'acte introductif d'instance a été déposé auprès du tribunal (cas en Allemagne pour les procédures administratives), ou du moment où il a été signifié à la partie adverse (cas en Allemagne pour les procédures judiciaires).
L'OEB n'est pas lié par la jurisprudence des tribunaux nationaux, mais devrait prendre en considération la jurisprudence de la plus haute juridiction, dans la mesure où elle la connaît. Dans le cas d'espèce, la jurisprudence citée par les parties ne permet pas de remettre en cause les conséquences directes de la loi applicable: l'action a été engagée le 3 mai et est restée en instance après avoir été renvoyée devant le tribunal de district. Avec l'envoi de l'accusé de réception par le tribunal administratif, le tiers a fourni en temps utile la preuve nécessaire pour entraîner la suspension de la procédure.
Le demandeur du brevet estimait que le tiers avait commis un abus de droit. Etant donné que les questions d'abus de droit se posent également dans les procédures devant l'OEB (cf article 16(1)e) RPCR 2020), la Chambre juridique estime que ces questions doivent être évaluées de manière autonome par l'OEB, indépendamment des systèmes juridiques nationaux.
L'usage abusif d'un droit peut, dans certaines circonstances, donner lieu à un abus de droit. C'est le cas, par exemple, si l'exercice des droits est principalement destiné à causer des dommages et que d'autres fins légitimes (ici la sauvegarde des intérêts du tiers) passent au second plan. L'abus doit être sans équivoque et nécessite un examen attentif et une pondération des circonstances individuelles. La charge de la preuve incombe à celui qui invoque l'abus. Le moment choisi (juste avant la délivrance) n'est pas un indice de l'existence d'un abus, surtout que des négociations étaient en cours entre les parties. Le dépôt "formel" de l'action en revendication auprès d'une juridiction non compétente, dans le but de pouvoir continuer les discussions, n'est pas abusif, le tiers ayant simplement bénéficié d'une possibilité expressément prévue par le système procédural national, et ce d'autant plus qu'après la délivrance le tiers aurait dû agir dans chacun des Etats, ce qui l'aurait désavantagé dans les négociations. La Chambre ne reconnaît donc aucun comportement abusif de la part du tiers.
On notera enfin que la Chambre juridique interprète le terme "argument" au sens de l'article 12(2) RPCR 2020 en considérant que l'interprétation doit se faire à la lumière de l'article 114(2) CBE (qui mentionne les faits et les preuves). Des déclarations portant uniquement sur l'interprétation de la CBE, donc purement juridiques, ne contiennent aucun élément de fait. Un "argument" se rapporte plutôt à des déclarations qui contiennent à la fois des éléments juridiques et factuels.